La non-application de la loi du 29 juillet 1991 au licenciement des contractuels n’est pas discriminatoire (C. const., arrêt n°84/2018 du 5 juillet 2018)

Vincent VuylstekeVincent Vuylsteke
Avocat associé
Van Olmen & Wynant

I. Le contexte

La question de l’application éventuelle de la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs au licenciement des agents contractuels du secteur public fait l’objet, depuis plusieurs années, d’une vive controverse jurisprudentielle et doctrinale[1].

Par un arrêt du 12 octobre 2015, la Cour de cassation a estimé que la loi relative à la motivation formelle ne s’appliquait pas au licenciement d’un agent contractuel[2]. Le Conseil d’État a suivi cette position[3].

Dans le cadre de l’affaire commentée, la Cour constitutionnelle est interrogée par le biais d’une question préjudicielle posée par le Tribunal du Travail de Liège, division Namur, tendant à savoir si le fait de ne pas appliquer la loi du 29 juillet 1991 au licenciement d’un agent contractuel est constitutif d’une discrimination par rapport à la situation des agents statutaires (qui bénéficient de l’application de cette loi).

L’on rappellera que la Cour constitutionnelle a récemment statué quant à l’existence d’une discrimination entre agents statutaires et agents contractuels concernant l’application du principe d’audition préalable « Audi alteram partem ». La Cour constitutionnelle a considéré à cette occasion qu’il était discriminatoire de ne pas appliquer ce principe au licenciement des agents contractuels, ce qui revient à s’écarter de la jurisprudence antérieure de la Cour de cassation et du Conseil d’État et à prôner l’application du principe d’audition préalable au licenciement des agents contractuels[4]. La Cour allait-elle en faire de même concernant la loi du 29 juillet 1991 ?

II. La décision de la Cour

La Cour constitutionnelle considère que la loi du 29 juillet 1991, dans l’interprétation de la Cour de cassation et du Conseil d’État selon laquelle elle ne s’applique pas au licenciement des agents contractuels de la fonction publique, ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme.

Comme elle l’avait fait dans ses décisions relatives à l’application du principe d’audition préalable, la Cour rappelle tout d’abord que les agents contractuels ne sont en principe pas comparables aux agents statutaires, mais qu’ils peuvent se trouver, par rapport à une question de droit précise, dans une situation comparable.

À l’inverse de ce qu’elle avait considéré s’agissant du principe d’audition préalable, la Cour estime que l’agent statutaire qui fait l’objet d’une décision de rupture du lien statutaire et l’agent contractuel licencié ne se trouvent pas dans une situation comparable quant à l’application de la loi du 29 juillet 1991. Le deuxième paragraphe du considérant B. 9 de l’arrêt est essentiel. La Cour y juge ce qui suit : « (L’agent statutaire) voit son emploi garanti par le fait qu’une cessation de fonction ne peut intervenir que sur la base de motifs expressément énumérés par son statut. Le caractère permanent de l’emploi constitue ainsi une caractéristique substantielle de la fonction statutaire. Il en résulte une obligation pour l’autorité qui met fin à une relation statutaire d’identifier adéquatement le motif de licenciement prévu par le statut et un droit pour l’agent statutaire d’introduire un recours en annulation devant le Conseil d’Etat. Ce recours devant être introduit dans un délai de soixante jours, cet agent doit connaître rapidement les motifs de la décision de l’autorité publique. En revanche, l’agent contractuel est soumis aux règles applicables au contrat de travail, selon lesquelles toute partie au contrat peut y mettre fin, de façon unilatérale, pour des motifs librement choisis. Le travailleur contractuel dispose d’un délai d’un an après la cessation du contrat pour introduire un recours devant le tribunal du travail. Ce délai lui permet de demander à l’employeur de connaître les motifs de son licenciement. »

Pour la Cour constitutionnelle, il n’est donc pas discriminatoire de ne pas appliquer la loi du 29 juillet 1991 au licenciement d’un agent contractuel.

III. Analyse et conseils pratiques

À notre estime, l’arrêt de la Cour n’est pas une surprise. Nous avions ainsi précédemment déjà souligné la différence, à laquelle la Cour se réfère, entre le délai de recours dont dispose un agent statutaire et celui dont dispose un agent contractuel et son influence sur la question de la motivation formelle[5].

Au-delà de la question de l’application de la loi du 29 juillet 1991 relatif à la motivation formelle des actes administratifs, il convient également de rappeler que le secteur public attend toujours l’introduction d’un régime de protection contre les licenciements « manifestement déraisonnables ». Le secteur privé a montré l’exemple avec l’introduction de la Convention Collective de Travail n°109[6], laquelle règle également la question de la motivation formelle en prévoyant une motivation formelle sur demande[7].

Par le biais de l’article 38 de la loi du 26 décembre 2013 sur le statut unique[8], le législateur avait annoncé l’introduction d’un régime « analogue » à la C.C.T. n° 109 dans le secteur public. Il est plus que jamais temps qu’un tel régime soit enfin introduit dans le secteur public. Il permettra d’encadrer l’action du juge en déterminant les motifs admissibles de licenciement, la fourchette indemnitaire et le régime de la charge de la preuve. La question de la motivation formelle du licenciement des agents du secteur public devra également être réglée dans ce cadre. Tenant compte des enseignements de la Cour constitutionnelle, le législateur pourrait, le cas échéant, prévoir un régime de motivation sur demande, à l’instar de celui prévu par la C.C.T. n° 109.

Dans son arrêt du 5 juillet 2018, la Cour constitutionnelle ne manque pas de rappeler qu’elle avait déjà invité le législateur, par le biais de son arrêt n° 101/2016[9], à adopter un régime de protection contre les licenciements manifestement déraisonnables dans le secteur public et que dans l’attente de l’intervention du législateur, les juridictions doivent « s’inspirer » de la C.C.T. n°109 en ce qui concerne le contrôle du fond des licenciements.

Pour ce qui est de la pratique quotidienne au sein des administrations, l’on rappellera l’importance de constituer un dossier et de pouvoir justifier adéquatement un licenciement. Le fait que la loi du 29 juillet 1991 ne trouve pas à s’appliquer et l’absence de pendant à la C.C.T. n° 109 n’impliquent en effet pas que les administrations puissent évoluer en roues libres. Des contestations peuvent être introduites par les travailleurs licenciés, notamment sur la base de l’abus de droit. Les autorités publiques doivent donc être en mesure de démontrer qu’elles ont adopté des décisions légitimes, dans le respect des principes généraux applicables (cf. la jurisprudence récente de la Cour constitutionnelle quant à l’application du principe d’audition préalable pour les licenciements liés à la personne ou au comportement des agents).

Par ailleurs, si une autorité publique ne pourrait en principe plus être condamnée pour ne pas avoir respecté la loi du 29 juillet 1991 dans le cadre du licenciement d’un agent contractuel, rappelons que rien n’interdit bien évidemment à une autorité de motiver d’initiative ses décisions. Les autorités publiques seront également bien avisées de répondre aux demandes des travailleurs de se voir communiquer les motifs de la décision intervenue.

Respecter les principes procéduraux, constituer des dossiers et répondre aux demandes de communication des motifs permet de se présenter devant le juge avec les meilleures chances de succès et d’être déjà préparé à l’introduction, tôt ou (très ?) tard, du régime de protection contre les licenciements manifestement déraisonnables propre au secteur public.

[1] Voy. notamment S. Gilson, F. Laminet, Z. Trusgnach, Les obligations particulières de l’employeur public lors du licenciement des travailleurs contractuels – Les méandres de la doctrine et de la jurisprudence à la croisée des droits administratif et social, Limal, Anthémis, 2016, pp. 144 à 148 ; L. Dear, A. Lhoste, « La motivation du licenciement. Les conséquences de l’arrêt de la Cour de cassation du 12 octobre 2015 », in L. Markey, L. Bertrand, D. Castiaux, L. Dear, S. Wynsdau (dir.), Actualités en droit social – Rétrospectives et perspectives concernant la loi sur le statut unique, le régime de chômage avec complément d’entreprise et la loi sur les pensions complémentaires, Bruxelles, Larcier, 2016, pp. 73 et 74 ; A. De Becker, « De motivering van het ontslag van arbeidscontractant in de publieke sector », R.W., 2007-2008, pp. 90 et s. ; A. Coolsaet, « Contractueel overheidspersoneel », in I. Opdebeek, A. Coolsaet (dir.), Formele motivering van bestuurshandelingen, Bruges, Die Keure, 2013, pp. 530 et 531 ; V. Vuylsteke, S. De Somer, « Motivation formelle du licenciement des agents contractuels du secteur public : voyage en eaux troubles », Rev. dr. commun., 2017/1, pp. 17 à 27.

[2] Cass, 12 octobre 2015, S. 13.0026.N.

[3] C.E., 27 septembre 2016, IEG, n°235.871.

[4] Sur l’arrêt n° 22/2018 du 22 février 2018 (relatif au licenciement pour motif grave), voy. P. Levert, L. Orfila, L’audition du travailleur contractuel dans le secteur public, IFE – Le blog du secteur public, Mars 2018 ; Sur l’arrêt n°86/2017 du 6 juillet 2017 (relatif au licenciement moyennant préavis), voy. V. Vuylsteke, Licenciement des agents contractuels du secteur public et principe d’audition préalable : un dialogue de sourds ? (C. const., arrêt n°86/2017 du 6 juillet 2017), IFE – Le blog du secteur public, septembre 2017.

[5] V. Vuylsteke, Motivation du licenciement des contractuels dans le secteur public : la Cour constitutionnelle s’en mêle également (C. const., arrêt n°101/2016 du 30 juin 2016), IFE – Le blog du secteur public, septembre 2016 ; S. De Somer, V. Vuylsteke, « De Wet Motivering Bestuurshandelingen en het ontslag van de overheidscontractant : het langverwachte oordeel van het Hof van Cassatie en een blik op de toekomst », T. Gem, 2016/2, pp. 135 et 136.

[6] La CCT n°109 est applicable au secteur privé et à quelques institutions publiques explicitement visées.

[7] Le travailleur dispose de la possibilité, dans certaines conditions, de demander la communication formelle des motifs justifiant son licenciement. Voy. les articles 3 à 7 de la C.C.T. n°109.

[8] Loi concernant l’introduction d’un statut unique entre ouvriers et employés en ce qui concerne les délais de préavis et le jour de carence ainsi que de mesures d’accompagnement, M.B., 31 décembre 2013.

[9] C. const., arrêt n°101/2016 du 30 juin 2016. Dans cet arrêt, la Cour considère que le maintien du régime de licenciement abusif des ouvriers prévu par l’article 63 de la loi de 1978 après le 31 mars 2014 est inconstitutionnel. Pour plus de détails, voy. V. Vuylsteke, Motivation du licenciement des contractuels dans le secteur public : la Cour constitutionnelle s’en mêle également (C. const., arrêt n°101/2016 du 30 juin 2016), IFE – Le blog du secteur public, septembre 2016.

Laisser un commentaire