Décrets dits « Gouvernance », quelles sont les incidences pour les Intercommunales ?

Philippe Levert
Avocat au Barreau de Bruxelles
DLM- Cabinet d’avocats

 

 

Khalid Ermilate
Avocat au Barreau de Bruxelles       
DLM- Cabinet d’avocats

Décrets dits « Gouvernance » du Parlement wallon : quelles sont les incidences structurelles et organisationnelles pour les Intercommunales ?

Plus personne n’ignore les rebondissements de l’affaire PUBLIFIN qui ont largement été repris dans la presse. Dans la foulée du rapport de la commission d’enquête parlementaire chargée d’examiner la transparence et le fonctionnellement du Groupe PUBLIFIN, le Gouvernement a étudié les mesures nécessaires à l’amélioration de la gouvernance des structures locales et supra-locales. Cette réforme, pour les intercommunales wallonnes, s’est matérialisée par l’adoption, le 28 mars 2017, d’un décret modifiant le Code de la démocratie locale et de la décentralisation en vue de renforcer la gouvernance et la transparence dans l’exécution des mandats publics au sein des structures locales et supra-locales et de leurs filiales (ci-après « décret gouvernance »)[1]. Ces dernières ont, de principe, jusqu’au 1er juillet 2018 au plus tard, pour mettre en conformité leurs statuts avec les nouvelles exigences du législateur décrétal.

Dans le cadre de cette courte présentation, il est matériellement impossible d’aborder de manière exhaustive l’ensemble des réformes. Il est néanmoins utile d’attirer l’attention du lecteur sur certains aspects saillants de la réforme qui, d’un point structurel et organisationnel, auront un impact sur le fonctionnement de l’intercommunale. La présente n’aborde donc pas la problématique des cumuls de mandats[2].

Ces aspects portent sur : les modalités des apports d’universalités ou de branches d’activités par l’intercommunales (a) ; la composition du conseil d’administration de l’intercommunales (b) ; l’instauration du comité d’audit (c) et la participation des intercommunales à une meilleure transparence des structures locales et supra-locales (d).

Apports d’universalités ou de branches d’activités par l’intercommunale

L’objectif du législateur est, entre autres, de réaffirmer le rôle et le contrôle des associés de l’intercommunale, en matière d’apports d’universalité ou de branches d’activités. C’est pourquoi désormais, les conseils communaux et, le cas échéant, provinciaux doivent être mis en mesure d’en délibérer et la compétence de se prononcer sur les apports d’universalités ou de branches d’activités se situe désormais au niveau de la seule assemblée générale[3], et ce nonobstant l’article L1512-5 du Code de la démocratie locale et de la décentralisation.  Le législateur reconnaît également aux associés la possibilité de se retirer s’ils ne devaient pas être d’accord avec le projet d’apports, pour autant qu’ils réparent le dommage causé à l’intercommunale et aux autres associés. Il s’agit, ni plus ni moins, de la consécration d’une nouvelle possibilité de retrait de l’intercommunale.

Composition du conseil d’administration

Tout d’abord, la composition du conseil d’administration est revue à la baisse, cette dernière passant de trente à vingt administrateurs, voire moins en cas de « petites intercommunales ». En outre, le conseil d’administration ne désigne plus en son sein qu’un seul Président et seul un Vice-Président.

Ensuite, le législateur décrétal estime désormais que les administrateurs représentant les associés privés sont des administrateurs indépendants, – ce qui en soi pose question, dès lors que les administrateurs indépendants renvoient à une catégorie particulière d’administrateur, définis par l’article 526 ter du Code des sociétés[4]. Conscient de cette incohérence, le législateur décrétal a adopté, le 25 avril 2018, un décret modifiant l’article 24 décret gouvernance et prévoyant que « Les administrateurs représentent soit des communes, provinces ou C.P.A.S. associés, soit des autres personnes morales de droit public, soit des associés privés soit sont considérés comme indépendants » ([5]).

Enfin, il y a lieu de relever une véritable révolution, dans la représentation au conseil d’administration, dès lors que désormais les sièges d’observateurs ([6]) avec voix consultative remplacent les sièges supplémentaires avec voix délibérative qui étaient, sous l’empire de l’ancien régime, reconnus aux groupes politiques démocratiques disposant d’au moins un élu au sein d’une des communes associées et d’au moins un élu au Parlement wallon, mais toutefois non représentés en raison de l’application du système de représentation proportionnelle.

Instauration du comité d’audit

L’article 28 du décret gouvernance introduit un nouvel article L1523-26 relatif au comité d’audit. Il s’agit d’un organe désormais obligatoire dans chaque intercommunale. Il est chargé avant tout d’assurer le fonctionnement efficient de l’intercommunale, notamment en assurant « le suivi de l’efficacité des systèmes de contrôle interne et de gestion des risques de l’intercommunale »[7]. Afin de donner un effet utile à cette nouveauté, il s’indique logiquement qu’il existe, en interne, dans l’organigramme de l’intercommunale, un service chargé de l’audit interne et de la gestion des risques, ce qui est loin d’être systématiquement le cas dans les intercommunales wallonnes[8].

Participation des intercommunales à une meilleure transparence des structures locales et supra-locales

Le législateur décrétal entend favoriser la transparence, entre autres, par la mise en place du registre des institutions locales et supra-locales, d’une part, l’instauration du rapport dit « de rémunération », d’autre part.

En ce qui concerne le registre des institutions locales et supra-locales, l’essentiel, ce qui retient l’attention, c’est le nouveau rôle d’informateur institutionnel assigné, de principe, au titulaire de la fonction dirigeante locale de l’intercommunale. Aux termes de l’article 69 du décret gouvernance, l’informateur institutionnel est tenu de communiquer, sous peine d’amende, des informations, en flux continu au Gouvernement wallon, en vue de permettre à ce dernier de procéder à une « cartographie » des mandats locaux et supra-locaux. Au nombre de ces informations, on relève l’identité des mandataires ainsi que leur numéro de registre national, ce qui, selon le texte de l’exposé des motifs, « trouve sa légitimité dans le fait que ces mandataires dont l’objet d’un contrôle annuel de leurs mandats et rémunérations »[9].

En ce qui concerne les rémunérations, en vue d’assurer une meilleure transparence, le principal organe de gestion de l’intercommunale, en pratique, le conseil d’administration, est désormais tenu de réaliser un rapport dit « de rémunération », lequel est annexé au rapport annuel de gestion. Ce rapport est soumis à l’assemblée générale du premier semestre, pour délibération, à défaut de quoi, cette dernière ne peut se tenir. Quant à son contenu, ledit rapport reprend « un relevé individuel et nominatif des jetons, rémunérations ainsi que des avantages en nature perçus dans le courant de l’exercice comptable précédent, par les mandataires, les personnes non élues et les titulaires de la fonction dirigeante locale »[10].

[1] À la date du 25 avril 2018, le décret n’a pas encore été publié au Moniteur Belge. Le décret entrera en vigueur dix jours après sa publication au Moniteur belge, sauf les incompatibilités nouvelles qui entreront en vigueur lors des prochaines élections.

[2] Pour une analyse plus en détail, voy. circulaire de « mise en application des décrets du 29 mars 2018 modifiant le Code de la démocratie locale et de la décentralisation (CDLD) ainsi que la loi organique des centres publics d’action sociale du 8 juillet 1976 », en date du 18 avril 2018, disponible sur http://pouvoirslocaux.wallonie.be/jahia/webdav/site/dgpl/shared/homepageMarilyn/CIRCULAIRE%20GOUVERNANCE%20VRESION%20ENVOYEE%20%2017%2004.pdf

[3] Parlement wallon, Doc. Parl., n°1047 (2017-2018), exposé des motifs, p.  6.

[4] L’article 526ter du Code des sociétés dispose que :

« L’administrateur indépendant au sens de l’article 526bis, § 2, doit au moins répondre aux critères suivants :
1° durant une période de cinq années précédant sa nomination, ne pas avoir exercé un mandat de membre exécutif de l’organe de gestion, ou une fonction de membre du comité de direction ou de délégué à la gestion journalière, ni auprès de la société, ni auprès d’une société ou personne liée à celle-ci au sens de l’article 11;
2° ne pas avoir siégé au conseil d’administration en tant qu’administrateur non exécutif pendant plus de trois mandats successifs, sans que cette période ne puisse excéder douze ans;
3° durant une période de trois années précédant sa nomination, ne pas avoir fait partie du personnel de direction, au sens de l’article 19, 2°, de la loi du 20 septembre 1948 portant organisation de l’économie, de la société ou d’une société ou personne liée à celle-ci au sens de l’article 11;
4° ne pas recevoir, ni avoir reçu, de rémunération ou un autre avantage significatif de nature patrimoniale de la société ou d’une société ou personne liée à celle-ci au sens de l’article 11, en dehors des tantièmes et honoraires éventuellement perçus comme membre non exécutif de l’organe de gestion ou membre de l’organe de surveillance;
5° a) ne détenir aucun droit social représentant un dixième ou plus du capital, du fonds social ou d’une catégorie d’actions de la société;
b) s’il détient des droits sociaux qui représentent une quotité inférieure à 10 % :
– par l’addition des droits sociaux avec ceux détenus dans la même société par des sociétés dont l’administrateur indépendant a le contrôle, ces droits sociaux ne peuvent atteindre un dixième du capital, du fonds social ou d’une catégorie d’actions de la société;
ou
– les actes de disposition relatifs à ces actions ou l’exercice des droits y afférents ne peuvent être soumis à des stipulations conventionnelles ou à des engagements unilatéraux auxquels le membre indépendant de l’organe de gestion a souscrit;
c) ne représenter en aucune manière un actionnaire rentrant dans les conditions du présent point;
6° ne pas entretenir, ni avoir entretenu au cours du dernier exercice social, une relation d’affaires significative avec la société ou une société ou personne liée à celle-ci au sens de l’article 11, ni directement ni en qualité d’associé, d’actionnaire, de membre de l’organe de gestion ou de membre du personnel de direction, au sens de l’article 19, 2°, de la loi du 20 septembre 1948 portant organisation de l’économie, d’une société ou personne entretenant une telle relation;
7° ne pas avoir été au cours des trois dernières années, associé ou salarié de l'[commissaire]
1, actuel ou précédent, de la société ou d’une société ou personne liée à celle-ci au sens de l’article 11;
8° ne pas être membre exécutif de l’organe de gestion d’une autre société dans laquelle un administrateur exécutif de la société siège en tant que membre non exécutif de l’organe de gestion ou membre de l’organe de surveillance, ni entretenir d’autres liens importants avec les administrateurs exécutifs de la société du fait de fonctions occupées dans d’autres sociétés ou organes;
9° n’avoir, ni au sein de la société, ni au sein d’une société ou d’une personne liée à celle-ci au sens de l’article 11, ni conjoint ni cohabitant légal, ni parents ni alliés jusqu’au deuxième degré exerçant un mandat de membre de l’organe de gestion, de membre du comité de direction, de délégué à la gestion journalière ou de membre du personnel de direction, au sens de l’article 19, 2°, de la loi du 20 septembre 1948 portant organisation de l’économie, ou se trouvant dans un des autres cas définis aux points 1° à 8°.
La décision de nomination fait mention des motifs sur la base desquels est octroyée la qualité d’administrateur indépendant. Le Roi, de même que les statuts, peuvent prévoir des critères additionnels ou plus sévères.
 »

[5] Parlement wallon, Doc. Parl., 1098 (2017-2018) – n°3, texte adopté en séance plénière, 25 avril 2018.

[6] Aux termes de l’article 47, 16°, du décret gouvernance, modifiant l’article L5111-1 du Code, l’observateur s’entend de toute « personne désignée pour siéger avec voix consultative, bénéficiant des mêmes droits et obligations que les administrateurs, en ce com­pris les règles de déontologie et d’éthique, au sein d’un organe de gestion d’un organisme soumis au présent Code. »

[7] Nouvel article L1523-26, § 3, 3°, du CDLD, introduit par l’article 28 du décret gouvernance.

[8] Dans une étude publiée en 2012, GUBERNA relevait que 42,5 % des Intercommunales sondées en Wallonie avait mis en place un système d’audit interne (GUBERNA, La gouvernance des intercommunales : conclusions de l’enquête sur la gouvernance au sein des intercommunales wallonnes. Disponible sur :

http://www.guberna.be/sites/default/files/general/Gouvernance%20intercommunales%20wallonnes_rapport.pdf

[9] Parlement wallon, Doc. Parl., 1047 (2017-2018) – n°1, exposé des motifs, p. 17.

[10] Voir, notamment l’article 71 du décret Gouvernance et article 22 du décret C.P.A.S.

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