La responsabilité solidaire pour les dettes sociales et fiscales : du sous-traitant au maître de l’ouvrage

Renaud SimarRenaud Simar
Avocat
Assistant à l’Université Saint-Louis Bruxelles

Les intervenants aux travaux immobiliers, que ceux-ci soient publics ou privés, ont intégré, de longue date, le système de retenue pour les dettes sociales et fiscales mis en place par le législateur. Cette obligation de retenue pèse sur le maître de l’ouvrage à l’égard de son entrepreneur et sur ce dernier à l’égard de ses sous-traitants. Cette obligation de retenue est, en outre, couplée à un régime de responsabilité solidaire, dont l’objectif est d’en sanctionner le défaut.

Ce système est régi, pour les dettes sociales, par l’article 30 bis de la loi du 27 juin 1969[1] et, pour les dettes fiscales, par les articles 400 et suivants du Code des impôts sur les revenus de 1992 (CIR 92). Plus particulièrement, en ce qui concerne les dettes sociales, l’article 30 bis instaure une obligation de retenue sur facture lorsqu’au moment du paiement de celle-ci, il apparaît que le cocontractant qui présente cette facture est débiteur de dettes sociales. Ceci contraint dès lors le maître de l’ouvrage ou l’entrepreneur général à vérifier, avant chaque paiement, si une obligation de retenue pèse sur l’entreprise qui introduit la facture. Pour les modalités concrètes de cette retenue, il est renvoyé aux dispositions de l’article 30 bis.

Le défaut de retenue sur facture est sanctionné par une responsabilité solidaire pour les dettes sociales du cocontractant, et ce jusqu’à concurrence du prix des travaux[2]. Cette responsabilité solidaire s’applique également aux dettes sociales de l’entrepreneur ou du sous-traitant « qui prennent naissance en cours d’exécution de la convention »[3].

Des dispositions similaires existent pour les dettes fiscales[4]. À l’instar de l’obligation de retenue introduite pour les dettes sociales, leur champ d’application est limité aux travaux immobiliers[5] et visent soit le maître de l’ouvrage, soit l’entrepreneur principal envers ses sous-traitants. Il appartient à ceux-ci, lorsqu’ils effectuent le paiement de tout ou partie des travaux à leurs cocontractants de verser à l’administration fiscale un montant équivalent à 15% de la facture, dès lors que le cocontractant présente des dettes fiscales. Cette obligation s’applique également aux dettes fiscales qui prennent naissance en cours d’exécution de la convention. À défaut de procéder à cette retenue, le maître de l’ouvrage ou l’entrepreneur immobilier est tenu solidairement responsable du paiement des dettes fiscales de son cocontractant. À la différence du système prévu pour les dettes sociales, cette responsabilité solidaire est toutefois limitée à 35% du montant total HTVA des travaux confiés. La loi programme du 29 mars 2012[6] introduit un mécanisme de responsabilité solidaire subsidiaire pour ces dettes sociales et fiscales[7].

Auparavant, le maître de l’ouvrage ou l’entrepreneur général pouvaient uniquement être tenus solidairement responsables pour les dettes sociales et fiscales de leurs propres cocontractants, et non pour celles d’éventuels sous-traitants intervenant au second degré. Cette responsabilité était limitée aux dettes sociales et fiscales du cocontractant direct. La loi programme du 29 mars 2012 étend donc cette responsabilité solidaire à l’ensemble de la chaîne des sous-traitants. Dans l’hypothèse où un sous-traitant du premier degré omet de pratiquer les retenues envers son propre cocontractant, sous-traitant au deuxième degré, il sera tenu à une responsabilité solidaire directe. En outre, si ce même sous-traitant au premier degré s’avère en défaut de payer la dette du sous-traitant du deuxième degré de laquelle il est désormais responsable solidaire, l’entrepreneur principal sera, à son tour, tenu solidairement responsable de cette dette, et ce à titre subsidiaire. Dans la mesure où cet entrepreneur principal s’abstiendrait également de régler le montant dû par lui à titre de responsabilité solidaire subsidiaire, le maître de l’ouvrage serait alors soumis à une obligation de retenue sur ses factures, à concurrence de cette dette[8].

Dorénavant, au-delà de cette obligation de retenue, le maître de l’ouvrage est également susceptible d’être déclaré solidairement responsable pour de telles dettes. Il ne s’agit toutefois que d’une responsabilité solidaire subsidiaire, à l’image de celle imposée à l’entrepreneur général depuis 2012. La loi programme du 10 août 2015 élargit, en effet, l’application de cette responsabilité solidaire subsidiaire pour les dettes sociales et fiscales, non seulement à l’entrepreneur principal, mais également au maître de l’ouvrage[9]. La chaîne contractuelle est désormais complète.

[1]Loi révisant l’arrêté loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs (M.B., 25 juillet 1969, p.7258).

[2] Article 30 bis, § 3, al. 4.

[3] Article 30 bis, § 3, al. 11.

[4] Article 400 et suivants, CIR92.

[5] Cette obligation de retenue a été élargie aux services de gardiennage et de surveillance (voir A.R. du 17 juillet 2013 modifiant l’A.R. du 27 décembre 2007 portant exécution des articles 400 à 406 CIR92 et de l’article bis de la loi du 27 juin 1969, MB 1er août 2013), ainsi qu’au secteur de la transformation de la viande (voir A.R. du 22 octobre 2013 modifiant l’A.R. du 27 décembre 2007 portant exécution des articles 400 à 406 CIR92 et des articles 30 bis et 30 ter de la loi du 27 juin 1969, MB 29 octobre 2013).

[6] M.B. du 6 avril 2012.

[7] La loi programme du 29 mars 2012 introduit également deux régimes alternatifs de responsabilité solidaire salariale ; un régime général visant à protéger la rémunération, subordonné à une notification de l’inspection sociale (articles 35/1 à 35/6 de la loi du 12 avril 1965 sur la protection de la rémunération) ; un régime particulier sanctionnant l’emploi de ressortissant de pays tiers en séjour illégal (articles 35/7 à 35/12 de la loi du 12 avril 1965).

[8] Voir pour illustration, la circulaire Marchés Publics du 22 juillet 2014 émise par la Chancellerie du Premier Ministre, M.B. 4 août 2014, p.57.018, C-2014/21081.

[9] M.B. 18 août 2015, p. 53.834, articles 18 et 19 ; en vigueur depuis le 28 août 2015.

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