Motivation formelle du licenciement et audition préalable dans le secteur public : arrêt de la Cour de cassation

Antoine CastadotAntoine Castadot
Avocat
CLAEYS & ENGELS Avocats


 

Dans un article publié l’an dernier sur le blog d’IFE, nous avons brièvement décrit la controverse qui opposait principalement les juridictions francophones aux juridictions néerlandophones quant à l’applicabilité de la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs et des principes généraux de bonne administration (en ce compris celui d’audition préalable) au licenciement d’un agent contractuel occupé par un employeur du secteur public.

1. Considérations préalables

Nous avons ainsi constaté que les juridictions néerlandophones se prononçaient majoritairement en défaveur de l’application des règles précitées au licenciement d’un travailleur occupé sous contrat de travail, notamment parce qu’elles considèrent que le licenciement n’est pas un acte administratif adopté par une autorité administrative, mais un acte de droit privé régi par la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail. Cette loi du 3 juillet 1978, qui s’applique également aux employeurs du secteur public, ne contient aucune obligation de motivation du licenciement (à l’exception des règles relatives à la motivation du licenciement pour motif grave), ni aucune obligation d’audition préalable.

Les juridictions francophones se prononçaient par contre majoritairement en faveur de l’application au licenciement des règles de motivation formelle et d’audition préalable, ces juridictions considérant pour la plupart que le licenciement doit s’analyser comme un « acte administratif » au sens de la loi du 29 juillet 1991 précitée, c’est-à-dire, comme un acte administratif adopté par une autorité administrative.

Jusqu’à l’arrêt du 12 octobre 2015 dont il sera question ci-après (S.13.0026.N, www.juridat.be), la Cour de cassation n’avait pas encore eu l’occasion de se pencher sur cette problématique. Cependant, dans un arrêt du 28 mars 2011, la Cour s’était déjà prononcée sur l’obligation d’indiquer les voies de recours dans la décision de rupture du contrat de travail d’un agent contractuel (S.10.0147.F, www.juridat.be). La Cour avait estimé dans cette affaire que la disposition du Code wallon de la démocratie locale et de la décentralisation, qui impose aux intercommunales d’indiquer sur toute décision ou acte administratif de portée individuelle émanant d’un de leurs services « les voies éventuelles de recours, les instances compétentes pour en connaître ainsi que les formes et délais à respecter », ne s’applique pas à la « décision qui met fin à un contrat de travail ». La Cour de cassation avait par ailleurs précédemment estimé, dans un arrêt du 10 mai 2010 (S.08.0140.F, www.juridat.be), que la législation sur la publicité de l’administration ne s’appliquait pas à la prescription de l’action en paiement des indemnités en accidents du travail.

2. L’arrêt de la Cour de cassation du 12 octobre 2015

Faits et position de la Cour du travail de Gand

En l’espèce, un travailleur contractuel licencié par une commune avait réclamé à celle-ci des dommages et intérêts devant les juridictions du travail, en invoquant l’absence de motivation formelle de son licenciement, ainsi que l’absence d’audition préalable.

En appel, la Cour du travail de Gand (section Bruges) lui avait donné raison (la Cour s’était donc écartée du courant jurisprudentiel néerlandophone majoritaire évoqué ci-avant).

La Cour du travail de Gand a tout d’abord considéré que licenciement devait être formellement motivé, et ce, pour les raisons suivantes.

Selon la Cour, le licenciement doit s’analyser comme un « acte administratif », au sens de la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs, la relation de travail entre l’agent contractuel et l’employeur pouvant par ailleurs parfaitement être considérée comme une relation entre une « autorité » et un « administré ».

En outre, selon cette même juridiction, l’application simultanée au contrat de travail des règles de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail et de la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs n’est pas incompatible, la liberté de licenciement pouvant s’accommoder de dispositions légales rendant l’exercice du droit de licencier plus difficile.

Pour ces raisons, la Cour du travail de Gand a considéré que l’employeur avait commis une faute en ne motivant pas le licenciement, faute justifiant l’octroi de dommages et intérêts au travailleur, évalués ex aequo et bono à 2 500 €.

La Cour du travail de Gand a ensuite estimé que l’employeur aurait également dû respecter, à l’occasion du licenciement, les principes généraux de bonne administration, dont font partie le principe d’audition préalable. Pour ce faire, la Cour a motivé sa décision sur la base d’un arrêt du Conseil d’État du 19 janvier 1998 (n° 70.876, Baele), selon lequel le principe d’audition préalable s’appliquerait à certaines situations autres que des relations de travail statutaires (en l’espèce, le Conseil d’État avait estimé que le principe d’audition préalable s’appliquait à la décision par laquelle l’Institut d’Expertise Vétérinaire avait refusé de confier une mission à un vétérinaire indépendant).

Selon la Cour du travail, l’absence d’audition préalable constitue une faute dans le chef de l’employeur, justifiant à nouveau l’octroi de dommages et intérêts au travailleur, évalués en l’espèce ex aequo et bono à 2 500 € également.

Position de la Cour de cassation

La Cour de cassation (chambre mixte) a cassé cet arrêt de la Cour du travail de Gand, en énonçant clairement que d’une part, il ressort de la genèse de la loi du 29 juillet 1991 précitée que celle-ci ne trouve pas à s’appliquer au congé donné par une autorité administrative à un travailleur contractuel, et que d’autre part, les principes généraux de bonne administration (en ce compris l’exigence d’audition préalable) ne peuvent pas faire obstacle à l’application des dispositions de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail, qui n’imposent pas à l’employeur d’entendre le travailleur préalablement à son licenciement.

Par conséquent, pour la Cour de cassation, ni la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs, ni les principes généraux de bonne administration (et plus particulièrement celui de l’audition préalable), ne s’appliquent au licenciement d’un agent contractuel occupé par un employeur du secteur public.

Ce faisant, la Cour de cassation, qui s’était déjà prononcée en défaveur d’une interpénétration entre les règles du droit administratif (publicité de l’administration) et celles du droit social (contrat de travail et accidents du travail), s’inscrit dans la lignée de sa jurisprudence précitée.

3. Conclusions et perspectives

L’arrêt du 12 octobre 2015 de la Cour de cassation met un terme à la controverse jurisprudentielle quant au caractère applicable de la loi sur la motivation formelle des actes administratifs et des principes généraux de bonne administration en cas de licenciement d’un travailleur contractuel.

Les employeurs du secteur public peuvent ainsi procéder à un licenciement sans tenir compte ni de la loi sur la motivation formelle des actes administratifs, ni des principes généraux de bonne administration.

Rappelons cependant que tout employeur du secteur public reste tenu de respecter les obligations qui s’imposent en vertu de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail (par exemple, la motivation du licenciement pour motif grave, ou encore, la nécessité de pouvoir prouver a posteriori que le licenciement d’un ouvrier est lié à son aptitude ou à sa conduite, ou est fondé sur les nécessités du fonctionnement de l’entreprise, de l’établissement ou du service).

En outre, l’employeur du secteur public qui procède à un licenciement est tenu de se conformer à cette occasion au droit des obligations, en vertu duquel le droit de licencier doit s’exercer de manière prudente et diligente, à l’exclusion de tout abus de droit. Ainsi, la jurisprudence a déjà considéré, dans certaines circonstances, comme abusif, le licenciement d’un travailleur effectué pour des motifs dont l’employeur n’a pas pris la peine de vérifier la réalité, en ne procédant pas, par exemple, à une audition préalable du travailleur (voyez en ce sens : Trib. trav. Bruxelles, 30 octobre 2007, RG n° 18041/06, www.juridat.be ; Trib. trav. Charleroi, 23 novembre 1992, Chron. D.S., 1993, p. 87).

Aussi, l’employeur du secteur public doit tenir compte des éventuelles règles internes applicables au sein de son institution (telles que le statut administratif ou le règlement de travail) avant de procéder à un licenciement. Il n’est, en effet, pas rare de constater que ces réglementations internes prévoient, par exemple, une procédure d’audition préalable au licenciement, calquée sur la procédure disciplinaire applicable aux agents statutaires.

Pour conclure, rappelons enfin que malgré l’arrêt de notre Cour suprême du 12 octobre 2015 qui clarifie la controverse évoquée ci-avant, un vide juridique persiste en matière de licenciement dans le secteur public, puisque les règles relatives à la motivation du licenciement spécifiques aux employeurs du secteur public, qui sont attendues suite à l’arrêt du 7 juillet 2011 de la Cour constitutionnelle traitant de la différence de traitement entre ouvriers et employés, n’ont en effet toujours pas été adoptées. Gageons que l’arrêt de notre plus haute juridiction ne manquera pas de relancer les discussions à ce sujet.

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