La réforme de la charge psychosociale – Interview

Jean-Philippe CordierJean-Philippe Cordier
Avocat Associé Younity
Maître de conférences à l’ULB et à l’UCL

Photo Paul BrasseurPaul Brasseur
Juriste
Conseiller-adjoint au Sénat

1- Sur quoi portera la réforme de la charge psychosociale ?

L’aspect principal de la réforme est qu’elle définit les rôles et les mécanismes nécessaires à ce que l’ensemble des risques psychosociaux au travail soient désormais pris en charge de la manière la plus précoce possible. À cet effet, les projets de loi et d’arrêté royal mettent l’accent sur les procédures internes, et en particulier sur la procédure informelle. La terminologie utilisée est neutre, afin de favoriser la poursuite de la relation de travail et de ne pas cristalliser les difficultés relationnelles. Ainsi, la plainte informelle portera désormais le nom de demande d’intervention psychosociale informelle, tandis que la plainte formelle s’intitulera « demande d’intervention psychosociale formelle ». Ce n’est que si cette demande est introduite « pour faits de violence ou de harcèlement moral ou sexuel au travail » qu’une protection contre le licenciement pourra désormais s’appliquer.

La réforme vise donc aussi à limiter les plaintes abusives, par exemple celles dont le seul but est de bénéficier de la protection contre le licenciement. À l’inverse, la notion de harcèlement moral est élargie à l’ensemble abusif de plusieurs conduites. Afin de prendre en compte le « processus harcelant », elle ne requiert donc plus que chaque comportement soit fautif. Enfin, si elle en fait le choix, la victime pourra obtenir une indemnisation forfaitaire de trois mois (ou six mois) en réparation du dommage causé par des comportements de violence ou de harcèlement moral ou sexuel au travail.

2- Sur quels acteurs aura-t-elle des conséquences importantes ?

Le rôle de la personne de confiance est renforcé, de même que celui du conseiller en prévention aspects psychosociaux. La personne de confiance est désormais compétente pour intervenir dans la procédure informelle vis-à-vis de l’ensemble des risques psychosociaux au travail. Dans le cadre de la phase formelle, elle n’est cependant plus compétente pour recevoir les demandes d’intervention psychosociale formelles. Autre nouveauté, le conseiller en prévention ordinaire pourra aussi, sous certaines conditions, être personne de confiance.

Plusieurs hypothèses d’incompatibilité ont été introduites. La personne de confiance ne peut pas être déléguée de l’employeur ou du personnel dans les organes de concertation, ne peut pas se porter candidate aux élections de délégué du personnel, ne peut pas faire partie de la délégation syndicale et ne peut plus faire partie du personnel de direction. Enfin, l’initiative de la désignation et de l’écartement d’une personne de confiance appartient désormais également aux représentants des travailleurs au sein du comité.

Afin de limiter les plaintes abusives et multiples, le conseiller en prévention (qui ne pourra plus faire partie du personnel de direction) pourra refuser l’introduction d’une demande d’intervention psychosociale formelle lorsqu’elle n’a manifestement pas trait aux risques psychosociaux au travail. Si la demande est acceptée, la protection contre le licenciement est étendue à l’interdiction à toute mesure préjudiciable qui est prise en représailles vis-à-vis du travailleur concerné, même après la cessation des relations de travail. Dans certaines hypothèses, le conseiller en prévention devra saisir l’inspection, même si travailleur s’y oppose.

3- Comment la réforme permettra-t-elle d’améliorer la lutte contre les risques psychosociaux ?

La réforme met l’employeur face à ses responsabilités. En tant que responsable final du bien-être au travail, il pourra et devra également prendre des mesures conservatoires en cas de faits graves dont il sera averti par le conseiller en prévention aspects psychosociaux. De même, il devra impliquer le comité pour la prévention et la protection au travail (ou la délégation syndicale) pour la résolution de problèmes qui présentent une nature collective. L’accent est, ainsi, mis sur les aspects organisationnels.

La loi introduit également la notion de secret professionnel partagé, de manière à permettre à la personne de confiance, au conseiller en prévention aspects psychosociaux et au médecin du travail d’échanger plus facilement les informations nécessaires à la résolution des cas individuels. La réforme clarifie également dans quels cas et selon quelles modalités l’employeur doit communiquer le rapport du conseiller en prévention aux travailleurs concernés.

D’une manière générale, la réforme suit les recommandations émises par la Chambre des représentants dans le cadre de l’évaluation du dispositif antérieur. Elle a fait l’objet de larges consultations, notamment au niveau des partenaires sociaux et des acteurs de terrain. Elle présente donc des chances raisonnables d’atteindre les buts qu’elle s’est fixés.

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