Jurisprudence récente sur le licenciement des agents contractuels dans le secteur public – Article

Antoine CastadotAntoine Castadot
Avocat
CLAEYS & ENGELS Avocats

T. Trav. Mons, 17 juin 2013, R.G. n° 12/1/A
C. Trav. Bruxelles, 7 mai 2013, R.G. n° 2011/AB/856
C. Trav. Gand, 13 février 2013, Chron. D.S., 2013, p. 366
C. Trav. Bruxelles, 8 janvier 2013, R.G. n° 2011/AB/712
C. Trav. Mons, 23 novembre 2012, J.T.T., 2013, p. 163
C. Trav. Liège, 5 septembre 2012, R.G. n° 2011/AL/270

Dans le cadre d’une affaire qui a donné lieu à l’arrêt du 13 février 2013 de la Cour du travail de Gand, une commune avait licencié un travailleur contractuel moyennant paiement d’une indemnité compensatoire de préavis en raison d’une réorganisation du service des voiries auquel était affecté le travailleur. Le travailleur a assigné la commune devant le Tribunal du travail d’Audenarde afin de lui réclamer une indemnité pour licenciement abusif sur la base de l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail. Dans ce cadre, le travailleur invoquait que la commune n’était plus fondée à apporter la preuve du caractère non-abusif de son licenciement postérieurement à celui-ci car, en tant qu’employeur public, celle-ci aurait déjà dû motiver formellement sa décision de le licencier, conformément à la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs.

En appel, la Cour du travail de Gand a confirmé la décision de première instance et rejeté l’argumentation du travailleur. Pour la Cour, ni la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs, ni les principes généraux de bonne administration ne trouvent à s’appliquer dans le cadre du licenciement d’un agent contractuel par un employeur du secteur public et ce, pour les raisons suivantes.

Tout d’abord, en optant pour l’engagement contractuel, l’autorité s’écarte de sa position particulière de personne publique qui s’impose dans ses rapports avec ses agents statutaires et passe d’une position « verticale » à une position « horizontale ». Ensuite, la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail prévoit expressément qu’elle s’applique aux contractuels occupés par les personnes morales de droit public (art. 1, al. 2), or aucune obligation en matière de motivation du licenciement n’est prévue par cette loi, à l’exception des obligations en matière de licenciement pour motif grave, enfin la finalité de la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs ainsi que des principes généraux de bonne administration est d’adoucir la position privilégiée de l’administration dans ses rapports avec les administrés. Or, toute relation contractuelle de droit privé est en principe caractérisée par l’égalité et la réciprocité juridiques entre les parties. En droit du travail, il existe certes des inégalités factuelles entre l’employeur et le travailleur, mais elles sont déjà corrigées par des mécanismes prévus par la loi relative aux contrats de travail.

L’arrêt du 13 février 2013 de la Cour du travail de Gand touche à la question, particulièrement controversée en jurisprudence et en doctrine, de l’application de la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs et des principes généraux de bonne administration, en cas de licenciement d’un agent contractuel par un employeur qui relève du secteur public.

Il existe, à ce sujet, une divergence notoire entre la jurisprudence et la doctrine néerlandophones, favorables à l’absence d’application de ces règles en cas de licenciement, et la jurisprudence et la doctrine francophones qui concluent à leur application (sauf en cas de licenciement pour motif grave en principe).

Aussi, l’arrêt du 13 février 2013 susvisé s’inscrit dans la lignée des décisions rendues par les juridictions du nord du pays qui considèrent généralement que le licenciement d’un agent contractuel occupé par un employeur public ne constitue pas un « acte administratif » mais un « acte de droit privé », de sorte que les règles précitées de motivation formelle et de principes de bonne administration ne s’appliquent pas. Selon ce courant, elles s’appliquent exclusivement à l’acte administratif adopté par l’autorité administrative lorsque celle-ci agit en tant qu’autorité administrative, en exerçant toutes les prérogatives de la puissance publique et en bénéficiant, dans l’intérêt général, des privilèges qui sont liés à cet exercice. En revanche, lorsque l’autorité publique utilise un procédé de droit privé comme le contrat, elle n’agit pas, dans cette hypothèse, en tant qu’autorité publique, mais en tant qu’acteur privé. Elle n’est pas, juridiquement, une « autorité administrative » et le travailleur n’est pas un « administré ».

À cette position s’oppose celle de la jurisprudence et de la doctrine francophones qui considèrent souvent, sans étayer particulièrement leur position, que les garanties précitées offertes à l’agent contractuel par le droit administratif se cumuleraient avec les droits qu’il puise dans la loi relative aux contrats de travail, sous réserve de l’hypothèse dans laquelle l’application du principe général serait incompatible avec la loi du 3 juillet 1978. En ce sens, le Tribunal du travail de Mons a récemment jugé « qu’un employeur public a des obligations particulières à l’égard des travailleurs engagés dans les liens d’un contrat de travail, issues des principes généraux du droit administratif […] telles que l’audition préalable » (jugement du 17 juin 2013, R.G. n° 12/1/A, www.juridat.be).

La Cour du travail de Bruxelles a, quant à elle, considéré dans deux arrêts du 8 janvier 2013 et du 7 mai 2013, d’une part, que le principe général de droit administratif audi alteram partem : « impose à toute autorité administrative d’entendre la personne à l’égard de laquelle elle envisage de prendre une mesure grave, dont le licenciement, pour des motifs liés à sa personne ou à son comportement » et, d’autre part, que le licenciement d’un agent contractuel constitue un « acte juridique unilatéral de portée individuelle émanant d’une autorité administrative et qui a pour but de produire des effets juridiques à l’égard d’un administré » au sens de la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs, qui est donc applicable à ces licenciements (inédits, R.G. n° 2011/AB/712 et R.G. n° 2011/AB/856).

On relèvera encore que la Cour du travail de Mons, appelée à se prononcer dans un cas similaire à celui tranché par la Cour du travail de Gand du 13 février 2013, a abouti à une conclusion totalement opposée à celle de la juridiction gantoise, puisque la Cour du travail de Mons a décidé, dans un arrêt du 23 novembre 2012 (J.T.T., 2013, p. 163) que la possibilité pour un employeur, de démontrer les motifs du licenciement d’un ouvrier (au regard de l’article 63 de la loi sur les contrats de travail) en se fondant sur des motifs autres que ceux invoqués dans la lettre de congé ou sur le formulaire de chômage, n’est pas ouverte à l’employeur de droit public ayant licencié un travailleur contractuel sans motiver formellement sa décision ni procéder préalablement à son audition. La Cour du travail de Mons a également estimé dans cet arrêt que la différence de traitement entre employeurs publics et privés qui découle des obligations supplémentaires de motivation et d’audition préalable imposés aux employeurs publics n’était pas discriminatoire. On notera que cette position n’est pas partagée par la Cour du travail de Liège dans un arrêt du 5 septembre 2012, qui a considéré que l’obligation d’audition préalable ne s’applique pas au licenciement des agents contractuels d’un service public, en raison de l’inégalité de traitement qu’engendrerait l’application de ce principe entre le travailleur salarié du secteur privé et celui du secteur public, le premier ne bénéficiant pas, dans l’état actuel du droit social belge, d’une possibilité d’exiger son audition préalablement à un éventuel licenciement alors que le second le pourrait (arrêt du 5 septembre 2012, R.G. n° 2011/AL/270). La Cour du travail de Liège avait déjà adopté une position similaire dans un arrêt du 24 juin 2009 (J.T.T., 2010, p. 13).

À l’heure actuelle, la Cour de cassation ne s’est pas encore prononcée sur la question de l’application de l’obligation de motivation formelle et des principes généraux de bonne administration au licenciement d’un travailleur contractuel par un employeur public. Dans un arrêt du 28 mars 2011, la Cour de cassation a toutefois rendu une décision avec laquelle un parallèle peut être fait, relative à l’obligation d’indiquer les voies de recours au travailleur en cas de licenciement d’un travailleur contractuel par un employeur public (S.10.0147.F, www.juridat.be). La Cour a estimé dans cette affaire que la disposition du Code wallon de la démocratie locale et de la décentralisation, qui impose aux intercommunales d’indiquer sur toute décision ou acte administratif de portée individuelle émanant d’un de leurs services « les voies éventuelles de recours, les instances compétentes pour en connaître ainsi que les formes et délais à respecter », ne s’applique pas à la « décision qui met fin à un contrat de travail ». La Cour de cassation avait également déjà refusé, dans un arrêt du 10 mai 2010 (S.08.0140.F, www.juridat.be), l’application de la législation sur la publicité de l’administration à la prescription de l’action en paiement des accidents du travail. La jurisprudence susvisée de la Cour de cassation semble donner raison à la jurisprudence et la doctrine néerlandophones évoquées ci-avant.

La sécurité juridique exige, en tout cas, qu’une réponse rapide et uniforme soit apportée à la question. Les mesures annoncées dans le cadre du rapprochement des statuts d’ouvrier et employé pourraient être de nature à faire avancer le débat (des règles relatives à la motivation du licenciement tant pour les employeurs du secteur privé que ceux du secteur public, distinctes de la loi du 26 décembre 2013 concernant l’introduction d’un statut unique entre ouvriers et employés en ce qui concerne les délais de préavis et le jour de carence, ainsi que de mesures d’accompagnement, sont en effet encore attendues).

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