Réforme communautaire du droit de la commande publique – Interview

Portraits of Philippe JUVIN in the European Parliament in Strasbourg.Philippe Juvin
Député européen
Rapporteur au Parlement européen de la directive sur l’attribution des contrats de concession
Maire de La Garenne-Colombes

 

1- Quelles sont les mesures de modernisation et de simplification de la révision de la réglementation sur les marchés publics ?

La Commission européenne a publié, en décembre dernier, deux propositions révisant les directives 2004/18/CE et 2004/17/CE relatives à la réglementation des marchés publics dans le secteur classique, ainsi que dans les secteurs spéciaux (eau, énergie, transports, services postaux). Identifiée par la Commission européenne comme une des douze actions clés définies dans l’Acte pour un Marché Unique, cette révision a un double objectif : rationalisation des dépenses publiques (meilleur rapport coûts-avantages) et renforcement de l’utilisation stratégique des marchés publics en soutien à l’action d’autres politiques européennes (protection de l’environnement, promotion de l’innovation, inclusion sociale, etc.).

Ces deux objectifs sont déclinés en un ensemble de mesures portant notamment sur la simplification et l’assouplissement des procédures de passation de marché, telles que l’allégement du régime applicable aux autorités locales ou régionales ou la promotion de la passation de marchés en ligne.

La Commission européenne met également l’accent sur l’utilisation stratégique des marchés publics, à travers la prise en compte de labels spécifiques, la modernisation des critères d’attribution (comme la prise en compte des coûts liés au cycle de vie d’un marché) ou la mise en place d’une nouvelle forme de procédure pour les marchés innovants. La réforme prévoit, par ailleurs, l’amélioration de l’accès des PME aux marchés publics, à travers la simplification des obligations d’information ou la possibilité de paiement direct des sous-traitants. Enfin, la Commission européenne entend lutter contre les conflits d’intérêts, la corruption et le favoritisme.

Les projets de rapport de Monsieur Marc Tarabella (S&D) sur les deux propositions de directives révisées feront l’objet d’un vote en plénière début 2013.

2- Quelle est, selon vous, la valeur ajoutée de la proposition de directive sur l’attribution des contrats de concession ?

Contrairement aux marchés publics pour lesquels existent des règles claires et précises, les concessions de travaux et de services, qui constituent une autre forme de la commande publique, ne bénéficient pas d’un encadrement adéquat au niveau européen. Si quelques rares dispositions de base des directives existantes sur les marchés publics s’appliquent aux concessions de travaux, les concessions de service ne sont soumises qu’aux principes du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, sans support de droit dérivé.

L’inexistence d’un cadre juridique bien déterminé implique le recours à une jurisprudence abondante et nécessairement évolutive de la Cour de Justice de l’Union européenne, générant une insécurité juridique réelle tant pour le concédant, que pour le concessionnaire (vingt-cinq arrêts de la CJUE depuis 2000 dont la moitié est relative à la seule définition de la concession).

À ce flou juridique s’ajoute le patchwork des législations nationales résultant de l’absence d’application uniforme des principes du Traité, certains États disposant de règles plus ou moins bien établies, d’autres étant dépourvus de tout cadre législatif en la matière. Un texte législatif européen dans ce domaine aurait, par conséquent, une valeur ajoutée certaine en termes de stabilité et de clarification juridiques.

De plus, un tel instrument permettrait de mettre des leviers supplémentaires à la disposition des pouvoirs publics qui le souhaitent, afin de développer et moderniser les services publics, en particulier dans un contexte de crise économique et de restrictions budgétaires généralisées.

Par ailleurs, un texte législatif européen sur les concessions permettrait de stimuler la concurrence au sein de l’Union européenne lorsque le choix des pouvoirs publics se porte sur la délégation de l’exécution de travaux ou de la gestion d’un service à un tiers sous la forme d’une concession.

Enfin, une telle initiative permettrait de garantir et de renforcer la transparence afin de prévenir et lutter contre les abus et le favoritisme dans la procédure d’attribution.

Pour autant, le texte proposé par la Commission européenne doit, pour avoir une réelle valeur ajoutée au niveau européen, être profondément remanié et adapté à la nature même des concessions.

3- Quels sont les principaux apports de votre projet de rapport relatif à la directive sur l’attribution des contrats de concession ?

La proposition de directive sur les concessions doit être remaniée en profondeur afin de garantir un cadre législatif efficace, lisible, cohérent et pragmatique. À cet égard, mon projet de rapport, présenté en commission IMCO au Parlement européen le 6 septembre dernier, poursuit quatre grands objectifs: la clarification et la simplification de la proposition de directive, l’affirmation de la spécificité de la concession par rapport au marché public et l’adaptation des dispositions de la directive à ses caractéristiques, l’affirmation de l’autonomie totale des autorités publiques quant au choix du cadre juridique de leur action et à la détermination de critères de qualité et enfin, la préservation d’un juste équilibre entre le besoin de flexibilité de la part des autorités publiques et la nécessité de transparence, afin de garantir l’égalité de traitement des opérateurs économiques.

Concrètement, les mesures que je propose incluent une clarification de la définition de la concession en tant que mode de gestion se caractérisant d’une part par le transfert par un concédant, à un opérateur économique tiers, d’une mission (exécution et exploitation de travaux ou gestion d’un service), d’autre part par l’existence d’un risque économique lié à l’exploitation des travaux ou de services, supporté par le concessionnaire. Le calcul de la valeur de la concession, ainsi que l’évaluation de sa durée, ont été modifiés afin de permettre une approche claire et pragmatique.

Mon projet de rapport met également l’accent sur la préservation de la qualité des services publics, les pouvoirs publics étant libres de choisir le mode de gestion qui leur paraît le plus efficace. De même, ils restent libres de fixer des critères de qualité ou des obligations de service public auxquels seraient soumis les concessionnaires.

Par ailleurs, le projet reflète le choix d’une approche « légère » garantissant la flexibilité de la procédure et le maintien d’une marge de manœuvre du concédant (allègement des dispositions procédurales, suppression de la pondération des critères ou de la publication des étapes de la négociation, etc.), tout en garantissant la transparence et le respect de l’égalité de traitement des candidats et des soumissionnaires.

Il prévoit aussi la prise en compte d’objectifs de politique publique (notamment grâce à la possibilité de recourir à des critères d’attribution environnementaux, sociaux ou relatifs à l’innovation) et clarifie les exclusions, par exemple en ce qui concerne la coopération public-public et les entreprises liées.

Discuté au Parlement européen, il fera l’objet d’un vote en commission le 24 janvier 2013 puis en plénière au premier trimestre 2013.

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