La révision des directives « Marchés publics » – Interview

Marc Tarabella
Député européen
Groupe S&D

1Pourquoi réviser les directives « Marchés » aujourd’hui ?

La stratégie Europe 2020 pour une croissance intelligente, durable et inclusive lancée par la Commission, repose sur trois priorités interdépendantes qui se renforcent mutuellement : développer une économie fondée sur la connaissance et l’innovation, promouvoir une économie sobre en carbone, économe dans la consommation des ressources et compétitive et encourager une économie à fort taux d’emploi, favorisant la cohésion sociale et territoriale. Cette stratégie confère un rôle essentiel aux marchés publics, qu’elle considère comme l’un des instruments privilégiés pour atteindre ces objectifs.

Parallèlement, elle souligne que la politique des marchés publics peut servir à une utilisation optimale des fonds publics.

Les raisons qui ont motivé la Commission à moderniser les règles en matière de marchés publics peuvent se résumer en trois points.

Veiller à une meilleure efficacité de la commande publique qui représente 19 % du PIB de l’Union européenne.

Renforcer la compétitivité des entreprises européennes vis-à-vis de leurs partenaires étrangers: il s’agit-là d’une tendance de fond de la politique de l’Union européenne.

Adapter les règles de l’Union européenne à la révision des règles de l’Accord sur les marchés publics (AMP) dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

Cependant, en considérant les objectifs que la Commission souhaite atteindre avec cette réforme, j’estime qu’il n’y aura pas de valeur ajoutée à la passation des marchés publics s’il n’y a pas une véritable application des critères sociaux et environnementaux tout au long des procédures et de l’exécution des marchés publics. L’utilisation stratégique des marchés publics constitue un des piliers de la communication de Michel Barnier. Il faut en tenir compte et s’y engager afin de contribuer à la réalisation des ambitieux objectifs qu’engage l’Union européenne.

2Quel est le calendrier prévu ?

La Commission IMCO du Parlement européen votera le rapport sur la passation des marchés publics avant Noël, alors que le rapport sectoriel sera voté au tout début de 2013. Il est encore tôt pour savoir quand la directive sera votée, la conclusion de la procédure de codécision dépend de l’accord entre le Parlement et le Conseil.

3Quelles seront les conséquences dans la pratique ?

L’amélioration des règles de passation aura certainement un impact concret. Il suffit de penser à l’utilisation de l’instrument électronique comme moyen de soumission des offres, assurant la transparence et diminuant surtout les coûts pour la préparation de l’offre, au bénéfice des PME. En plus, une réglementation responsable de la sous-traitance assurera une meilleure exécution des marchés publics.

Dans certains cas dramatiques, la pratique de la sous-traitance en cascade aboutit à l’exploitation des travailleurs et par conséquent, à des marchés publics de moindre qualité. Il est dans l’intérêt de tous, entreprises comme pouvoirs adjudicateurs, d’assurer lors de l’exécution des marchés publics, un travail de qualité réalisé dans le respect du droit du travail. C’est pourquoi je propose également d’introduire le principe de responsabilité des opérateurs économiques dans toute la chaîne de la sous-traitance.

Le pouvoir adjudicateur est, lui aussi, responsable, dans la mesure où il doit demander au soumissionnaire d’indiquer, dans son offre, la part éventuelle du marché qu’il a l’intention de sous-traiter à des tiers, ainsi que les sous-traitants proposés.

4Dans quelle mesure la procédure négociée va-t-elle devenir la procédure de droit commun ?

L’utilisation accrue de la procédure négociée permettra aux pouvoirs adjudicateurs d’améliorer la qualité des offres et le résultat atteint dont les citoyens bénéficieront. En plus, la flexibilité de cette procédure apporte des bénéfices économiques aux pouvoirs adjudicateurs qui peuvent négocier avec les soumissionnaires la meilleure offre et obtenir ce qu’on appelle « the best value for money ». Cependant, je veux maintenir un niveau de transparence et de contrôle visant à empêcher tout risque de corruption, collusion ou abus. C’est pourquoi, il y a des limitations à la négociation : il est interdit de réviser le cœur du marché comme les exigences minimales, l’objet et les critères de passation. Deuxièmement, il faut garantir à tous les opérateurs économiques l’assurance d’une participation équitable et véritablement concurrentielle, ce qui permet d’accroître la compétitivité des entreprises européennes. J’insiste aussi sur la nécessité d’un contrôle institutionnel à mettre en place par les autorités compétentes des États membres.

5 En quoi la prise en compte des critères environnementaux et sociaux va-t-elle être durcie ?

Je préfère dire que l’application des critères environnementaux et sociaux sera améliorée et concrétisée.

Sur les aspects sociaux notamment, je considère que la proposition de la Commission est trop faible. Je souhaite, par conséquent, introduire le respect des normes sociales à tous les stades de la procédure de passation des marchés publics.

Ainsi, j’ai développé les spécifications techniques présentes dans les documents de marché et définissant les caractéristiques requises des travaux, des services ou des fournitures afin qu’elles permettent au pouvoir adjudicateur d’atteindre des objectifs de durabilité s’il le souhaite. Les spécifications techniques devraient donc pouvoir inclure des exigences relatives à la performance, environnementale par exemple, à l’organisation, la qualification et l’expérience des travailleurs dévolus à l’exécution du marché public, ainsi qu’à la sécurité, notamment les méthodes d’évaluation de la qualité des produits.

Les critères sociaux se réfèreront à des standards sociaux définis et certifiés selon les lois nationales, européennes, ainsi que par les conventions collectives et internationales, comme la Convention ILO 94. Bien qu’on reconnaisse des différences de pratiques parmi les États membres dans l’application de lois en matière de travail, je suis convaincu que l’harmonisation de la mise en pratique des principes à travers cette directive n’apporte aucune contrainte aux États qui, par exemple, n’ont pas ratifié la Convention ILO 94. Au contraire, elle permet de faire évoluer les législations nationales vers des standards plus élevés placés à la base de la tradition européenne. L’harmonisation de la législation est le premier pas pour renforcer le marché intérieur.

Quand on parle de règles de concurrence, j’estime que le législateur doit combler toutes les lacunes permettant aux opérateurs économiques, européens ou non, de les détourner. C’est ainsi qu’un pouvoir adjudicateur doit rejeter une offre s’il peut établir que celle-ci est anormalement basse parce qu’elle contreviendrait aux obligations établies par la législation de l’Union européenne en matière de droit social et du travail ou de droit de l’environnement ou aux dispositions internationales en matière de droit social et environnemental énumérées à l’annexe XI. Ce type d’entrave à la concurrence abîme la compétitivité et les entreprises saines. En tant que député européen, je pense que l’Europe doit adresser ce message à l’intérieur et hors de ses frontières. L’objectif doit être clair aussi pour États tiers concernant le respect des normes équivalentes à celles existant dans l’Union européenne dans le domaine environnemental et social.

Le débat au sein du Parlement européen a abouti à un grand résultat en effaçant la notion du prix le plus bas, au profit de la notion de l’offre économiquement la plus avantageuse. Considérant que l’approche de l’offre économiquement la plus avantageuse tient également compte du prix, les pouvoirs adjudicateurs pourraient, ainsi, faire le choix le plus approprié selon leurs besoins spécifiques et notamment prendre en considération les aspects sociétaux stratégiques.

Il est cependant utile de préciser que pour des raisons d’efficacité et de sécurité juridique, aucun des critères d’attribution ne saurait conférer une liberté de choix totale au pouvoir adjudicateur : les critères d’attribution choisis pour identifier l’offre la plus économiquement avantageuse doivent toujours être liés à l’objet du marché et assurer la possibilité d’une concurrence efficace.

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