Signes convictionnels : une ordonnance retentissante

Mathieu Velghe
Avocat
DLM – Avocats

Face aux revendications de trois de ses travailleuses, l’Office régional Bruxellois de l’emploi (Actiris) n’aura pas su convaincre le Président du tribunal du travail francophone de Bruxelles de la légitimité de l’interdiction faite à ses membres du personnel d’afficher, lors de leur travail, leurs préférences religieuses, politiques ou philosophiques dans leur tenue vestimentaire ou dans leur comportement.

Dans son ordonnance du 16 novembre 2015, le tribunal du travail a en effet jugé cette interdiction, édictée dans le règlement de travail, constitutive d’une discrimination indirecte prohibée au motif qu’elle « entraîne un désavantage particulier pour les personnes adhérant à une religion qui prescrit le port d’un signe particulier ou pour lesquelles le port d’un signe donné revêt une importance plus grande et qui entendent exercer leur liberté de religion ».

Si Actiris soutenait cette interdiction par l’exigence de neutralité du service public, cette justification a été rejetée par le tribunal du travail, qui après avoir mis en doute la légitimité même de l’interdiction énoncée en raison des circonstances propres à l’espèce jugée, a considéré qu’Actiris échouait à démontrer que cette interdiction était proportionnée à l’objectif de neutralité poursuivi.

Une intervention législative pour clore le débat ?

Si la lecture du jugement du tribunal du travail est susceptible de laisser l’employeur public dans l’émoi ou dans la perplexité, la proposition déposée devant le Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale de faire interdiction aux agents de la fonction publique régionale bruxelloise[1] d’afficher tout signe convictionnel ostentatoire dans l’exercice de leurs fonctions, fut-elle adoptée, a peu de chances de mettre fin sans autre nuance au débat.

Outre les dispositions constitutionnelles nationales qui consacrent, en elles-mêmes, les principes d’égalité et de non-discrimination et la liberté des cultes, le cadre juridique européen communautaire prohibe aussi, par lui-même, toute discrimination indirecte fondée sur la religion ou les convictions sauf justification objective, par un objectif légitime et pour autant que les moyens de réaliser cet objectif soient appropriés et nécessaires.

La validité de l’interdiction générale et absolue proposée au législateur bruxellois ne peut ainsi pas être tenue pour acquise tant qu’elle n’a pas été affirmée par la Cour constitutionnelle et par Cour de justice de l’Union européenne, devant lesquelles une telle interdiction sera inévitablement entreprise.

L’enseignement annoncé de la Cour de justice de l’Union européenne

Il est à noter que dans l’espèce dont il était saisi, le tribunal du travail ne s’est pas prononcé sur l’existence d’une discrimination directe, notamment en raison de la question préjudicielle posée par la Cour de cassation[2] à la Cour de justice de l’Union européenne pour déterminer « si une interdiction de porter un voile en tant que musulmane sur le lieu du travail ne constitue pas une discrimination directe lorsque la règle existant chez l’employeur interdit à tous les travailleurs de porter sur le lieu du travail des signes extérieurs de convictions politiques, philosophiques et religieuses » est constitutive d’une discrimination directe prohibée par le droit communautaire.

La réponse de la juridiction européenne à la question nourrira ainsi utilement le débat national.

Retrouvez plus d’informations sur le sujet lors de notre formation Actualité du droit et du contentieux de la fonction publique les 24 et 25 mai à Bruxelles.

[1] Proposition d’ordonnance portant interdiction du port de signes convictionnels ostentatoires au sein des services du Ministère de la Région de Bruxelles-Capitale, des organismes d’intérêt public et des entités dérivées dépendant de la Région de Bruxelles-Capitale, Doc. Parl. RBC, SO 2015-2016, A-278/1.

[2] Cass., 9 mars 2015, S.12.0062.N

Laisser un commentaire