Bien motiver et communiquer ses décisions en matière de marchés publics

Philippe MairyPhilippe Mairy
Adjoint à la direction
Service juridique
Commune d’Ixelles

1) Quels sont les pièges à éviter ?

A. Motivation des décisions

La loi du 17 juin 2013 relative à la motivation, à l’information et aux voies de recours en matière de marchés publics encadre assez précisément les aspects « procéduraux » de la question. Elle définit ce qui doit faire l’objet d’une décision motivée, quand cette décision doit être établie et comment elle doit être communiquée. En revanche, elle donne assez peu d’indications concrètes au praticien sur le contenu de la motivation.

S’il est assez évident que l’attribution d’un marché public doit faire l’objet d’une motivation, il ne faut pas perdre de vue que, dans certains cas, d’autres étapes de la procédure doivent également faire l’objet d’une décision motivée. On pense notamment à la décision de recourir à des procédures d’exception, comme les procédures négociées. Les procédures en deux phases (sélection, puis attribution) nécessitent quant à elles l’établissement d’une décision motivée au stade de la sélection. Enfin, la non-attribution d’un marché (pour diverses raisons, comme l’absence d’offre régulière ou simplement la renonciation au projet par le pouvoir adjudicateur) fait sans doute partie des décisions à motiver qu’on oublie le plus souvent.

Avant de s’interroger sur la façon de comparer les offres, il faut encore s’assurer de n’omettre aucune des informations que la loi impose de reprendre dans la décision motivée. Il s’agit notamment de bien identifier les candidats et soumissionnaires, mais aussi le pouvoir adjudicateur.

Enfin, il y a lieu d’indiquer les motifs de droit et de fait de la décision. Pour justifier le choix de la procédure négociée, il faudra veiller à indiquer non seulement que, par exemple, le montant de la dépense à approuver ne dépassera pas, selon les cas, 85 000 ou 207 000 euros (motif de fait), mais aussi veiller à mentionner la base légale correspondante (motif de droit), en l’occurrence l’article 26 §1, 1°, a) de la loi du 15 juin 2006. Pour être tout à fait exact, il conviendrait de mentionner également l’article 105 de l’arrêté royal du 15 juillet 2011.

On rappellera la chronologie des étapes de la procédure (sélection, régularité, comparaison) qui doit rythmer la décision motivée. Cette chronologie joue également sur la communication des décisions, comme on le verra. Il y a lieu de rédiger sa décision en conséquence. En effet, extraire les motifs d’une décision concernant la régularité d’une offre est plus aisé si on a pris la peine d’organiser sa décision par étape et par soumissionnaire. À l’inverse, un texte continu mêlant des éléments concernant plusieurs offres sera plus difficile à communiquer et présentera un risque accru d’omissions.

Quant au contenu de la motivation de l’attribution, la nouvelle réglementation apporte une précision par rapport au régime antérieur en indiquant expressément qu’il faut mentionner « les caractéristiques et les avantages relatifs de l’offre retenue ». Autrement dit, il faut expliquer pourquoi l’offre choisie est meilleure que les autres. Pour ce faire, il y a lieu de se référer aux critères d’attribution fixés par le pouvoir adjudicateur. En vertu du principe patere legem quam ipse fecisti, il faut appliquer tous les critères et rien que les critères, en veillant à ne pas les transformer ou les dénaturer en cours d’analyse.

B. Communication des décisions

La première question à se poser est celle du régime juridique applicable à la décision. En effet, la loi du 17 juin 2013 définit d’abord le régime applicable aux marchés qui atteignent le montant de la publicité européenne. Pour les marchés dont le montant est inférieur au seuil européen mais dépasse le montant de la publicité belge, l’article 29 de la loi précise que le même régime est applicable, en l’allégeant toutefois de certaines dispositions, principalement relatives au délai d’attente. Pour les marchés dont la dépense à approuver ne dépasse pas le seuil de la publicité belge, l’article 29 établit un régime spécifique. La principale différence de ce régime réside dans le fait que, pour ces marchés, la communication se fait en deux temps. Dans un premier temps, le pouvoir adjudicateur informe le soumissionnaire de sa décision. Ainsi, par exemple, il écrira « nous avons décidé de déclarer votre offre irrégulière », ou encore « nous n’avons pas choisi votre offre ». Ensuite, c’est seulement à la demande du soumissionnaire concerné que les informations lui seront communiquées. À l’inverse, pour les marchés atteignant les seuils de publicité, la communication des informations se fait directement, le soumissionnaire n’a pas à les demander.

Pour le reste, les informations à communiquer sont pratiquement les mêmes dans tous les cas : à ceux qui ne sont pas sélectionnés, les motifs de leur non-sélection, à ceux dont l’offre est déclarée irrégulière, les motifs de l’irrégularité de leur offre (dans ces deux cas, les candidats ou soumissionnaires n’ont donc droit qu’aux seuls motifs les concernant eux, pas leurs concurrents), à ceux dont l’offre n’est pas choisie et à celui qui remporte le marché, toute la décision motivée.

Il y a lieu de bien garder le texte de la loi à portée de main pour être sûr de ne pas se tromper de régime. Toutefois, on prendra garde de ne pas tomber dans certains pièges tendus par la loi elle-même. En effet, on peut lire dix fois l’article 29 §2 de la loi, applicable aux marchés inférieurs au seuil belge, et ne pas trouver certaines informations relatives aux marchés passés par procédure négociée sans publicité. La possibilité, par exemple, d’établir la décision motivée a posteriori dans certains cas. Pire, la simple nécessité de motiver le recours à la procédure négociée. Ces éléments se trouvent dans le chapitre applicable aux marchés atteignant le seuil européen et ne sont pas repris dans celui applicable aux marchés n’atteignant pas ces seuils. Est-ce à dire que le recours à la négociée sans publicité ne doit pas être motivé si le montant du marché est inférieur à 85 000 euros ? À l’évidence, non. Pourtant c’est ce que suggère la structure de la loi.

2) Quels sont les risques encourus ?

La décision motivée, particulièrement celle relative à l’attribution du marché, est la partie visible de l’iceberg (le dossier administratif en étant la partie immergée). C’est donc l’antichambre de tout recours. Une décision mal motivée, obscure ou comportant des erreurs attirera l’attention des soumissionnaires évincés qui seront tentés d’introduire un recours. Le défaut de motivation peut justifier l’annulation d’une décision.

Pour les marchés atteignant les seuils de la publicité européenne, le délai d’attente constitue une étape importante à ne pas perdre de vue. La violation du délai d’attente peut donner lieu à des sanctions lourdes de conséquences, notamment la déclaration d’absence d’effet. Dans ce cas, l’instance de recours pourra annuler, rétroactivement ou non, les obligations contractuelles. On prendra garde aussi à respecter la règle du double envoi (recommandé et moyens électroniques/fax) puisque tant qu’un de deux envois n’est pas réalisé, le délai ne court pas. Attention, pour les marchés de travaux, le délai d’attente est obligatoire dès que le montant de l’offre à approuver dépasse la moitié du seuil européen.

Avant la réforme de 2009, le principal risque pour les pouvoirs adjudicateurs était un recours en annulation débouchant in fine sur une condamnation à payer des dommages et intérêts. Depuis lors, et a fortiori depuis le 1er juillet 2013, ce n’est plus vrai. En théorie en tout cas, d’autres sanctions existent. L’instance de recours pouvant même, dans certains cas, appliquer des pénalités financières aux pouvoirs adjudicateurs. En pratique, les principaux risques restent le risque financier lié à l’indemnisation du soumissionnaire évincé d’une part, et le risque de suspension d’autre part, avec ses conséquences en termes de gestion de projet.

3)  Quels conseils pouvez-vous donner ?

La motivation et la communication des informations étant intimement liées au contentieux, il y a peu de conseils absolus, valables dans tous les cas. Des considérations stratégiques interviennent également. Le pouvoir adjudicateur qui craint pour ses finances aura souvent intérêt à appliquer un délai d’attente volontairement. En revanche, pour celui qui a un planning serré, l’application volontaire du standstill n’a pas beaucoup de sens.

De manière générale, il y a un néanmoins toujours un équilibre à trouver entre en dire trop peu et en dire trop. Le Conseil d’État a souvent répété qu’il n’y avait pas d’obligation d’indiquer dans la décision, « les motifs des motifs ». La motivation peut être succincte pour autant qu’elle soit adéquate, qu’elle permettre de comprendre la décision. À l’inverse, il faut éviter les clauses de style et les formules creuses. Il faut aussi se poser la question de la motivation de l’attribution dès le moment du choix des critères d’attribution. Il est en effet possible de se faciliter la tâche en prévoyant des critères objectifs portant sur des données chiffrées, et en indiquant la méthode d’évaluation des offres au regard de ces critères. Un exemple courant est de prévoir dans l’avis de marché ou le cahier des charges que, pour chaque critère, la meilleure offre obtiendra le maximum des points, les autres étant cotées sur base d’une règle de trois. Dans un tel cas, la motivation est extrêmement simple. Évidemment, tout ne peut pas se peser ou se mesurer. La qualité architecturale d’un projet, notamment ses aspects esthétiques, fait partie des critères les plus difficiles en termes de motivation. Pour autant, un tel critère n’a rien d’illégal. Il nécessitera un effort accru de motivation. Il faudra s’évertuer à disséquer le projet dans ses différents aspects, à comparer les offres objectivement en gardant à l’esprit qu’il faut bien mentionner les caractéristiques et avantages de l’offre retenue par rapport aux autres offres. On rappellera encore l’exigence de justifier les points attribués aux offres. Un tableau avec des cotes ne suffit pas s’il n’est pas accompagné d’explications renvoyant aux éléments des offres.

La transparence est un objectif louable et il faut évidemment respecter les obligations de communication prévues par la loi. Mais la loi elle-même prévoit des limites à l’information. Les données confidentielles, les secrets d’affaires… peuvent ne pas être communiqués. Il est également clairement prévu que tant que la décision n’est pas prise, personne ne peut avoir accès aux documents relatifs à la procédure. Il y a donc lieu de résister aux demandes de certains soumissionnaires qui, parfois, instrumentalisent la procédure pour obtenir des informations commerciales sur leurs concurrents. Il est normal que les opérateurs économiques, qui ont mobilisé des ressources parfois importantes pour remettre une offre, soient informés des suites réservées ne fut-ce que par courtoisie. De là à faire du zèle en communiquant plus d’informations que ce que la loi impose… C’est un peu tendre le bâton pour se faire battre.

Mais comme indiqué ci avant, il n’y a pas de règle absolue. Une décision d’irrégularité est toujours mal perçue par son destinataire. Lui montrer, en lui envoyant toute la décision, qu’il n’aurait de toute façon pas obtenu le marché parce que les autres offres étaient clairement meilleures, pourra parfois le dissuader d’introduire un recours. De manière générale, il faut s’assurer, quand on écarte une offre, de mentionner toutes les irrégularités de l’offre dans la décision.

Pour plus d’informations sur le sujet, retrouvez Philippe Mairy lors de notre formation Marchés publics : bien motiver et communiquer vos décisions le 7 octobre 2014 à Bruxelles.

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