Lignes claires sur la responsabilité civile extracontractuelle de l’administration – Article

David RendersDavid Renders
Professeur à l’Université catholique de Louvain
Avocat au barreau de Bruxelles

I. Quelques précisions

La responsabilité civile extracontractuelle de l’administration est reconnue, dans les années qui suivent l’indépendance de la Belgique, pour les seuls actes de gestion privée posés par l’administration. Elle est étendue aux actes de puissance publique à la faveur d’un arrêt de la Cour de cassation du 5 novembre 1920.

Depuis cet arrêt, les actes et les omissions de l’administration doivent respecter les obligations qui s’imposent à elle. Les obligations sont de deux ordres. Il s’agit, d’une part, de respecter les règles et principes en vigueur qui s’imposent à l’administration en raison de leur valeur hiérarchiquement supérieure. Il s’agit, d’autre part, du « devoir général de prudence » qui s’impose à tous en vertu des articles 1382 et 1383 du Code civil.

Si l’action ou l’omission de l’administration porte atteinte à l’une de ces obligations, une illégalité est commise qui, suivant la jurisprudence de la Cour de cassation, constitue une faute au sens civil du terme.

II. Enseignements de la Cour de cassation

L’enseignement de la Cour de cassation selon lequel toute illégalité est une faute, au sens civil du terme, est parfois discuté.

Une part de la doctrine et de la jurisprudence – avec laquelle on est en désaccord – défend la thèse selon laquelle une illégalité n’est automatiquement une faute que dans l’hypothèse où la norme impose à l’administration d’agir dans un sens déterminé. Dans les autres hypothèses, il n’y aurait faute que si l’administration a manqué au devoir général de prudence qui lui incombe.

L’enseignement de la Cour de cassation selon lequel une illégalité n’est pas une faute si elle procède d’une erreur invincible, n’est, en revanche, pas discuté et a fait l’objet, ces dernières années, de quelques avancées notables.

Auparavant, une controverse jurisprudentielle – qui ne dépend pourtant pas de l’administration, mais de la justice – aboutissait à la commission d’une faute de l’administration lorsque, par malheur, elle avait opté pour l’interprétation qui, au final, n’était pas suivie par le juge chargé d’examiner la régularité de l’acte adopté. Tel ne semble plus nécessairement être le cas aujourd’hui.

Le terrain de la controverse jurisprudentielle n’est pas le seul sur lequel une avancée pourrait, en la matière, être consacrée. La jurisprudence récente laisse entendre que, lorsque le droit est raisonnablement susceptible de plusieurs interprétations, le caractère invincible de l’erreur commise par l’administration pourrait être reconnu.

III. La faute et le dommage

Il va de soi que la faute commise par les personnes qui œuvrent dans le cadre de l’administration est imputable à l’administration proprement dite.

La question se pose de savoir si, par ailleurs, la personne physique qui a commis la faute n’est pas, elle aussi, susceptible de se voir imputer celle-ci.

Pour répondre à la question, tout dépend du statut juridique de cette personne. S’agit-il d’un agent ou d’un mandataire ? Dans le cas d’un agent, est-il statutaire ou contractuel ? Dans celui d’un mandataire, a-t-il agi en cette qualité ou, dans le cadre de la déconcentration, sous les ordres d’un subordonné fonctionnel ? Selon le cas, le régime juridique applicable peut différer.

La responsabilité civile de l’administration et/ou de la personne qui a, en fait, commis la faute, n’est pas engagée à raison de la seule survenance d’une faute. Il faut encore que celle-ci ait causé un dommage à autrui.

Le dommage ne doit pas seulement exister, il doit aussi s’inscrire dans un rapport de causalité nécessaire avec la faute. La victime doit, en d’autres termes, pouvoir démontrer que c’est la faute imputable à l’administration, à son agent ou à son mandataire qui a engendré le dommage dont il se prétend victime ou encore que, sans l’existence de cette faute, le dommage n’aurait pas été causé.

À cet égard, il faut observer que si la faute civile consiste dans le fait d’avoir adopté un acte administratif irrégulier, la nature de l’irrégularité est susceptible de jouer un rôle majeur dans la détermination du lien de causalité.

IV. La réparation

En termes de réparation, c’est la réparation en nature du dommage subi par la victime qui constitue le principe, pour autant, bien sûr, qu’elle soit possible. L’affirmation vaut pour l’administration, l’agent ou le mandataire, autant que pour n’importe quel citoyen.

Dans l’hypothèse où la réparation en nature n’est pas possible – ou qu’elle est possible, mais qu’elle est exclue par la loi -, la victime du dommage causé pourra réclamer des dommages et intérêts, c’est-à-dire une somme d’argent qui constitue la compensation financière du préjudice subi.

La prise en charge de la sanction dépend, bien entendu, de la personne condamnée et laisse place à l’intervention d’une assurance que les pouvoirs publics sont parfois contraints de devoir contracter pour certains de leurs mandataires.

V. Pour conclure

Le système de responsabilité civile de l’administration et de ses agents est plus complexe qu’il n’y paraît, mais, dans l’ensemble, assez équilibré.

L’on plaide pour un assouplissement de l’imputabilité de la faute au mandataire, en considérant que, de la même manière que pour tous les agents, statutaires ou contractuels, organes ou préposés, les mandataires soient, à titre personnel, exonérés de la faute légère occasionnelle qu’ils viendraient à commettre.

Puisse le législateur fédéral, pour l’heure compétent pour intervenir, entendre ce qui rendrait meilleure justice à celles et ceux qui, dans l’ensemble, se dévouent pour assumer des charges publiques souvent lourdes et périlleuses.

Pour en savoir plus, retrouvez David Renders lors de la formation « Quelles sont vos responsabilités ? » le 23 octobre 2013 à Bruxelles.

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